mardi 24 février 2009

La poisse

J’ai 12 ans, je suis en secondaire 1, et j’ai la frousse.


Pourquoi? Vous demandez-vous… J’aurais, bien entendu, mille raisons logiques d’avoir la frousse. La conne qui m’a choisie comme tête de turc est dans ma classe, c’est déjà en soi une bonne raison. D’ailleurs, la plupart du temps que je passe en classe, j’ai la frousse, je suis tendue, je me cache dans mes cheveux, et si je n’avais pas si peur du ridicule, je garderais la tête sagement cachée sous le pupitre, en me disant que si je ne la vois pas, elle ne me voit sûrement pas non plus. Logique d’autruche, je sais.


Le directeur adjoint se tient solennellement debout devant la classe, et il nous distribue non moins solennellement nos premiers bulletins de secondaire 1, tout en émettant de petits commentaires à chacun, et le tout, DEVANT LA CLASSE, c’est bien ce qui m’angoisse à ce point. Moi, je voudrais me sauver, me soustraire, me diviser, bref, faire diversion, et échapper à tout commentaire en public. Je ne veux pas qu’on m’encense, ni qu’on me critique, et encore moins devant les autres… Je suis une chose délicate quand vient le temps du commentaire : j’ai peur de la critique aussi bien que de l’encensement.

« Un tel, bravo, bons résultats en mathématiques. L’autre tel, attention, vous avez tout juste la note de passage en français. C’est important, le français. Mademoiselle Mayeur…

- Maillard.

- Oh, mais non, c’est Mayeur, comme dans meilleure!

- Ok le smatte, tu changes de blague et je dis pas à tout le monde que tu sens le fond de tonne, est-ce qu’on a un deal? »


Bon, vous vous imaginez bien, ce n’est que dans mes rêves que j’ai autant de répartie. Mais je l’ai tout de même pensé, alors je me dis que ça mérite quand même d’être écrit quelque part, car si je ne m’en tenais qu’aux faits, il y a longtemps que vous auriez cessé de venir voir de temps à autre ce qui se passe sur mon très peu prolifique blogue…


« - Euh…

- C’est excellent, excellent partout! Enfin… presque partout…

- Ah…

- Oui… l’éducation physique, ce n’est pas votre fort, mademoiselle, hein?

- Euh…

- Eh bien, c’est une belle leçon pour toute la classe : on ne peut pas être bon dans tout, et il y a toujours une place pour l’amélioration. »


Soixante-trois.

J’ai devant les yeux la pire note qu’il m’ait été donné de voir dans un bulletin, si tant est qu’on peut comparer adéquatement un 63% avec un C-, C- étant l’autre pire note qu’il m’ait été donné de voir, mais dans un tout autre contexte… Comme le C- ne m’a pas marquée outre mesure, vous m’excuserez si je m’en tiens ici au 63%.


Bon, il était entouré de 99% en français, 95% en maths, 97% en anglais et de je ne sais quoi d’autre, mais pour une raison qui m’échappe, le directeur qui sentait réellement le fond de tonne avait cru bon me tenir en exemple de la perfection-qui-n’existe-pas. J’étais devant la classe, debout, exposée comme un spécimen du comme-c’est-dommage, de l’être-si-près-du-but et du meilleure-chance-la-prochaine-fois-en-attendant-contentez-vous-de-la-deuxième-place, et j’attendais qu’on me remette enfin le papier maudit, qui prouvait que j’avais, en quelque sorte, échoué.


Pourtant, c’était à n’y rien comprendre… Je ne comprenais pas ce que j’avais pu faire pour me mériter une note aussi grotesque. Que croyez-vous qu’on fait, en un mois et demi de classe à une nouvelle école ou personne ne nous connait, dans des cours d’éducation physique quand on en a 2 par semaine? Après combien de cours croyez-vous que le professeur se souvient de votre nom, quand vous n’êtes qu’une sage petite fille qui ne dit jamais rien? De vos performances? De la note, tout à fait subjective, que vous devriez vous mériter, compte tenu de l’absence d’examen et de système de notation? Si l’on considère que je me suis déjà fait demander mon nom par un professeur de philosophie au cégep, et ce alors que j’étais sa meilleure élève et que nous en étions à la remise des examens de fin de session… Bon, peut-être que les professeurs de philosophie sont forts sur les substances illicites qui affectent la mémoire, je n’en sais trop rien, mais il n’en demeure pas moins que je sais aujourd’hui que je suis mal tombée dans la loterie de la première note de l’année.


A ce moment là, je ne savais pas. Je n’ai pas pensé. Je croyais que les professeurs avaient la science infuse et qu’ils étaient justes et droits, et intelligents, et qu’ils se souvenaient clairement de tout le monde, et que leurs évaluations se tenaient debout. Il faut dire que je n’avais pas encore été moi-même un professeur au secondaire. Ça aide à comprendre, je vous jure.


J’ai tout de même dit merci en prenant mon bulletin.


Je suis retournée à ma place, atterrée, mais faisant semblant d’être contente, parce que tout de même, les autres s’attendent à ce que vous soyez fière quand presque toutes vos notes sont aussi bonnes. Mais pas trop, non plus. Trop de fierté pourrait être interprété comme de la vantardise, ou de la prétention, ou de l’auto-suffisance, enfin…. Ce serait très mauvais. C’est très difficile de passer inaperçue dans ce genre de situation. Je déteste les remises de bulletins.


J’ai passé la soirée à me demander si vraiment, j’étais poche en sports.

Ça ne m’étais jamais arrivée… j’étais pourtant douée au primaire.

J’ai passé le reste de mon secondaire à faire des efforts surhumains pour améliorer mes notes d’éducation physique, qui sont toujours demeurées sous la moyenne, comme si les profs se fiaient toujours à la note d’avant pour attribuer la nouvelle, comme si faire monter la note d’un trop grand bond était impossible, parce que ça aurait mis en évidence l’erreur de jugement du premier bulletin. C’était fait, j’étais casée, j’avais la poisse.


La poisse des secondes places.

2 commentaires:

Anonyme a dit...

Retrouves ton prof pis pètes-lui la gueule! C'est juste ça qu'il mérite!
Lol. C'est vrai, maintenant que j'y pense, que les notes d'éducation physique sont totalement subjectives...Pis la remise des bulletins devant la classe, avec commentaires, c'est archaïque!
C'est toi la meilleure! Dis-toi que quand tu es deuxième, c'est parce que tu as cédée ta place! hihi!

Othniel

L'infertile a dit...

Ha ha!
Merci mon cher fidèle lecteur!
(sérieux, je pense que je vais te faire une plaque laminée avec la mention "lecteur no 1" :O)

Mets-en que c'est archaïque, la remise des bulletins devant public!! Mais bon, à sa décharge, le directeur en question était bien vieux, d'ailleurs il est maintenant décédé...
Et il sentait vraiment la boisson et le cigare!